L’implant cochléaire à 8 ans

J’ai eu l’implant cochléaire deux fois, la première à l’âge de 8 ans et la seconde à 21 ans. J’ai donc pu vivre l’expérience de l’implant en tant qu’enfant et aussi en tant que jeune adulte. Ce fût deux expériences complètement différentes. J’aborderai le sujet de ma seconde implantation dans un prochain billet. Pour l’instant, je suis une petite fille de sept ans trois quarts, en route vers la ville de Québec…

On roule pour ce qui me semble être des jours (en réalité, c’est environ six heures). Je regarde par la fenêtre et tout à coup j’aperçois quelque chose que je n’ai jamais vu auparavant. Des enseignes et des publicités à perte de vue, des couleurs, de grands édifices, des gens partout. C’est la première fois que je quitte mon village natal pour la grande ville et je suis très impressionnée par tout ce qu’il y a à voir. L’Hôtel-Dieu de Québec est un centre de soins de santé imposant avec son personnel affairé qui se promène dans les couloirs étroits du majestueux édifice. L’équipe qui nous accueille est vive et répond promptement à toutes les questions de mes parents. Pendant trois jours, je me fais examiner sous toutes mes coutures et je passe une panoplie de tests plus ou moins désagréables, et même une évaluation psychologique. On me demande si je veux entendre à nouveau. Oui, bien sûr que je veux entendre à nouveau, mais l’idée de me faire endormir et me faire tripoter si proche du cerveau ne m’enchante pas particulièrement. Je sens ma mère nerveuse et inconsciemment, j’ai peur. Mon père lui, est toujours calme et place une grande confiance dans la procédure. C’est fou comment, enfant, on ressent les émotions de nos parents par leurs actions et leur langage corporel. Même s’ils avaient une attitude positive et beaucoup de courage, ce n’était pas une décision facile pour eux; l’implant cochléaire était encore méconnu, l’opération invasive et le succès n’était pas garanti.

Une fois les tests complétés, le verdict tombe : malgré que la décision ne fasse pas l’unanimité en raison de ma petite cochlée qui risque de rendre l’opération plus compliquée, le chirurgien Dr Pierre Ferron (maintenant une légende en la matière) estime que je suis une bonne candidate pour l’implant. Je serai donc la 36e personne (dont la 13e enfant) au Québec à être implantée et la toute première du Nouveau-Brunswick. Moment intense d’euphorie… mais aussi rempli d’incertitude et de questions.

« Mug shot » photo prise par l'hôpital lors de l'évaluation de mon dossier.
« Mug shot » photo prise par l’hôpital lors de l’évaluation de mon dossier.

Avant d’aller plus loin, c’est quoi un implant cochléaire? Comment fonctionne-t-il? Qu’est-ce qui le rend si spécial? Un implant cochléaire agit comme un pont pour faire voyager les vibrations sonores vers le nerfs auditif lorsque certaines parties de l’oreille ne fonctionnent plus. Il est composé d’une partie extérieure qui capte le son, et une partie implantée sous la peau, qui reçoit le son et qui le transmets à des électrodes, qui stimulent ensuite le nerf auditif. Je vous ai préparé une série d’illustration pour vous montrer comment le son voyage dans une oreille entendante versus avec un implant cochléaire :

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Un implant cochléaire semble, a priori, un vrai miracle. Une petite opération et voilà! On entend et si on est chanceux, on parle même au téléphone. Ça l’air si facile, qu’on se demande pourquoi il existe encore des gens sourds. Bien que l’implant soit une petite merveille technologique, ce n’est pas la solution à tous les problèmes :

Limitations physiques
Certaines malformations de l’oreille et d’autres facteurs tels que l’âge, l’état de santé ou le degré de perte auditive ne sont pas favorables à l’implantation.

Question d’éthique
Un implant cochléaire peut être vu comme aller contre la nature humaine ou la volonté de Dieu. Si on naît ou devient sourd, c’est peut-être pour une raison. Un parent peut se sentir inconfortable de prendre la responsabilité de la décision d’aller vers l’implant ou non alors que l’enfant est trop jeune pour décider par lui-même, tandis qu’un membre d’une communauté sourde pourrait prendre la décision de ne pas aller vers l’implant pour demeurer membre à part entière de la communauté qu’il apprécie et qui lui ressemble.

Question psychologique
Le patient doit être réceptif et vouloir le changement. Il ne faut pas voir l’implant comme une solution miracle à la détresse des parents qui ont appris que leur enfant était sourd. Il faut être capable de voir l’implant pour ce qu’il est – un outil parmi plusieurs autres – pour aider le patient à se développer à son plein potentiel. Il faut être capable d’accepter que l’efficacité n’est pas garantie, que le cheminement sera long et pas toujours facile et que la réadaptation (ou réapprendre à entendre) demandera un effort supplémentaire tous les jours.

En ce qui me concerne, vu que j’avais déjà entendu et que je ne connaissais pas le langage des signes, la décision a été assez facile pour mes parents. Ils voulaient que je puisse garder et continuer à développer mon langage déjà acquis. De plus, je viens d’une région rurale où il existe peu de ressources spécialisées et si un implant n’avait pas existé, il est fort possible qu’ils auraient eu à déraciner notre famille pour que je puisse suivre ma formation académique dans une école adaptée à mes besoins, car les handicaps sévères n’étaient pas acceptés à l’école régulière, faute de ressources.

Pour un parent, le cheminement vers l’implantation est rempli de doutes et de questions. Les miens ont eu la chance d’avoir été épaulés dans cette démarche par des parents d’enfants qui avaient été implantés avant moi. Marie-Andrée, la première enfant à recevoir un implant cochléaire au Canada, nous a impressionnés avec son intelligence, sa vivacité et la qualité de sa parole. Elle continue d’ailleurs à inspirer les autres et à être impliquée dans la communauté sourde (pour en savoir plus, lire cet article qui parle du film Femmes sourdes, dites-moi qu’elle a produit et réalisé). Rachel (la petite fille sur la photo couverture de ce billet) et sa maman ont été là pour répondre à toutes nos questions avant, pendant et après. Elles ont apporté un support incroyable et nous ont donné de l’espoir quand nous en avions le plus besoin. Mieux encore, elles sont devenues des amies qui sont encore présentes dans nos vies aujourd’hui. Rachel est maintenant psychologue et a connu un parcours académique impressionnant (lire cet article qui résume son cheminement).

Avec mon papa, deux jours avant l'opération
Avec mon papa, deux jours avant l’opération

En juin 1991, deux jours après mon 8e anniversaire et presque six mois après être devenue complètement sourde, a eu lieu un moment tournant de ma vie : le jour de l’opération. Cette opération, effectuée sous anesthésie générale, dure entre 2 et 3 heures et nécessite quelques jours d’hospitalisation. J’ai encore le souvenir déchirant du moment où mes parents m’ont dit au revoir, et où je me suis retrouvée seule dans une pièce glaciale et remplie de visage inconnus. Je tremblais et j’avais de la peine, mais heureusement il y avait une dame que j’avais rencontré à quelques reprises qui m’accompagnait à la salle d’opération. Elle était gentille et rassurante. Je m’accrochais à elle comme à une bouée de sauvetage. On m’a rasé le côté de la tête, installé l’intraveineuse pour l’anesthésie. J’avais choisi de me faire endormir avec le masque, et je me souviens très distinctement de l’odeur dégueulasse et d’avoir combattu la sensation d’engourdissement et de sommeil.

Peu de temps après mon réveil
Peu de temps après mon réveil
Avec ma mère, le lendemain de l'opération
Avec ma mère, le lendemain de l’opération

À mon réveil, j’avais un gros bandage et un peu mal au coeur, mais ça n’a pas été long que j’étais debout à me promener partout sur l’étage. Même si l’expérience peut sembler traumatisante, dérangeante ou difficile pour la petite fille que j’étais, ce n’était pas le cas. Marquante, oui, mais jamais je n’ai manqué d’amour ou de réconfort, jamais je ne me suis sentie abandonnée. Même si certains moments ont été désagréables ou pénibles, jamais je n’ai senti qu’on faisait quoi que ce soit contre mon gré. C’est probablement pour ça que je garde un souvenir très heureux de cette période de ma vie. Si elle était à refaire, je le referais, 10, 20, 100 fois. Si cette opération devient un jour nécessaire pour mes enfants, je dirai oui sans hésiter une seule seconde.

Avec le grand Dr Pierre Ferron
Avec le grand Dr Pierre Ferron

Mon opération s’est très bien déroulée, malgré un problème qui avait été discuté maintes fois. Ma cochlée, plus petite que la normale, a empêché l’insertion complète des 22 électrodes de l’implant. Seules 12 d’entre elles ont réussi à atteindre le bon emplacement. Comme chaque électrode est assignée à une fréquence particulière, plus il y en a, plus que le son est diversifié.

Et plus le son est diversifié, plus il est précis et permet de faire la différence entre bateau et manteau, par exemple.

Si l’opération est réussie, en théorie je devrais posséder environ 55% de la précision auditive d’une personne implantée avec tous les électrodes. Ça semble peu, mais c’est toujours mieux que rien du tout! Il ne nous reste plus qu’à espérer que l’activation des électrodes et la connection avec la partie extérieure, se fasse sans problèmes.

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5 Comments

  1. C'est une histoire qui me touche et j'ai hâte au prochain épisode pour savoir la suite de votre histoire, c'est très émouvant.

  2. Beaucoup de frissons me passe à chaque fois que je te lis.!! Bravo!!

    geneviève Bélisle

  3. Comme maman d'une petite fille sourde et qui doit être opérée probablement en avril prochain, merci pour ton témoignage, c'est très touchant. De notre côté on hésite par rapport à l'implantation séquentielle ou simultannée (bref un implant à la fois ou les deux en même temps). Tout un casse-tête.

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