L’activation a lieu environ 4 semaines après l’opération. Tout le monde retient son souffle, moi compris. Je n’ai aucune attente, même que je ne crois pas vraiment au miracle. Je suis devenue tellement confortable dans mon silence, que l’idée d’avoir des sons perturber la quiétude de mon esprit me semble un peu farfelue. Mais on espère et on est fébriles… Rachel et sa maman sont avec nous pour filmer le grand moment. On s’installe et on me branche la partie extérieure de l’implant, qui est composée d’un microphone, un processeur et une antenne qui tient avec un aimant sur la partie fraîchement implantée. À l’époque, le processeur était une grosse boîte rectangulaire avec un long fil que je devais attacher à ma taille. Assez encombrant mais ce n’est rien pour avoir la possibilité d’entendre.
Le Dr Pierre Ferron arrive pour assister à l’activation. Cet homme commande le silence et le respect par sa seule présence. On prend une grande respiration et on commence. Je dois lever la main si j’entends quelques chose. L’audiologiste Michel Desgagné commence avec un très petit son. Au début, je n’entends rien… le temps passe… je suis nerveuse, j’ai peur de décevoir tout ce beau monde et que ça n’ait pas fonctionné pour moi. Tout à coup, je sens quelque chose… ça chatouille! J’hésite mais je lève la main. Tout le monde se met à crier et à pleurer. Je ricane mais je ne suis vraiment pas convaincue. Ce que j’ai supposément entendu de ressemble à rien. C’était une vibration, pas un son. J’ai de la difficulté à imaginer être capable de parler au téléphone ou comprendre les gens avec ça… J’ai l’impression d’avoir tout imaginé, tout le monde est tellement ému et heureux, mais moi je ne ressens rien. On continue le processus de programmation, qui s’avère assez long. On doit mettre chaque électrode en fonction et déterminer le niveau de son le plus fort que je suis capable de tolérer confortablement, le plus bas que je réussis à entendre et aussi trouver un niveau qui ne me fasse pas mal pour les sons aïgus. C’est en passant sur chaque fréquence que je me rends compte que ok finalement, j’entends pour vrai.
Pour voir le vidéo de l’activation, c’est ici.
Mais le son n’est pas fluide ni agréable. Il est agressant, carré et il me dérange.
De retour à notre chambre d’hôtel, nous sommes tous brûlés de notre journée, émotionnellement. J’ai porté mon appareil et au début ça allait, mais là je veux l’enlever. Tout est trop fort, tout me dérange, et la partie implantée est encore sensible et me fait mal après toute cette stimulation. Ma mère me dit que je peux l’enlever mais mon père ne veut pas, car l’audiologiste a dit que je dois le porter le plus souvent possible. Ils s’obstinent sur la meilleure chose à faire mais moi je ne suis plus capable, je pleure, je suis fatiguée, je veux l’enlever, c’est tout. J’ai besoin de temps pour processer tout ce qui m’arrive.
Nous retournerons plusieurs fois en audiologie pour ajuster la programmation de mon appareil. À mesure que mon cerveau s’adapte aux informations que le nerf auditif (tout excité de se faire utiliser) lui envoie, ils sont interprétés différemment. Les bruits métalliques produits par mon implant s’estompent tranquillement et sont associés par mon cerveau à des sons de la vie quotidienne, comme de l’eau qui coule, une auto qui démarre. Mon cerveau, qui s’amusait autrefois à créer des sons à la vue d’objets que je savais bruyants a maintenant une meilleure piste pour m’envoyer de l’information.
L’opération et l’activation étaient probablement les éléments les plus faciles du processus dans le sens où nous n’avions qu’à faire confiance et nous laisser porter par des professionnels compétents. La réadaptation s’étalera sur plusieurs années, nous demandera de faire notre part et sera déterminante pour dire si oui ou non l’implant est un succès pour moi.
Réapprendre à entendre
Après l’activation s’ensuit une période de réadaptation intensive de presque quatre mois. Nous avons dû déménager, ma mère et moi, dans un petit appartement à Charlesbourg près de Québec. Nous n’avions pas de voiture, mais il y avait un service de transport et un réseau d’autobus. Ma mère a donc dû cesser de travailler pour s’occuper de moi, et on père est resté derrière pour faire vivre la famille et s’occuper de mon petit frère. Tous les matins, je me rendais à l’Institut des sourds de Charlesbourg et ensuite à l’école des sourds où j’ai débuté ma troisième année de primaire. Tout était en place pour que je ne manque de rien.
Ce qui m’a vraiment touchée durant cette période est le support des gens de Saint-Isidore, mon village natal. Tout le monde se connaît et était au courant de mon histoire. Un souper spaghetti et un brunch ont eu lieu pour ramasser des fonds et enlever un peu du stress financer que mes parents devaient porter. Les gens ont fait preuve d’empathie, se sont montrés encourageant et réconfortants. Encore aujourd’hui des activités sont organisées pour des habitants du village dans le besoin et ça me rend toujours heureuse de voir ça. Moi je ne l’ai pas oublié, je trouve qu’on est chanceux de faire partie de cette belle communauté.
J’ai bien aimé ces moments où j’avais ma maman pour moi toute seule. Nous allions prendre des marches, et faisions des jeux ensemble. On s’ennuyait de papa et de Luc, mon jeune frère, qui sont venus nous visiter à quelques reprises. Notre famille immédiate prenait de nos nouvelles et nous supportait dans toutes les étapes. On savait que ce n’était pas pour toujours alors c’était correct. On a essayé de tirer le meilleur de la situation.
Avec un implant cochléaire, on entend pas de la même façon. Le cerveau doit oublier ses anciens points de repères et se refaire une nouvelle carte auditive. On me demande souvent : m’entends-tu? Et ça, tu l’entends? Ce que les gens ont beaucoup de difficulté à saisir avec l’implant, c’est que c’est très différent des appareils auditifs conventionnels, qui amplifient les sons. Avec l’implant, je n’ai aucun problème à entendre même les très petits sons, comme les oiseaux et les bruissements de feuilles. Le problème est la clarté des sons. Je les entends, mais je ne sais pas c’est quoi. Quand il y a beaucoup de bruit, les sons se mettent tous ensemble et sont très difficiles à différencier, surtout avec seulement 12 électrodes. L’exemple que je donne le plus souvent est :
Imaginez que quelqu’un vous parle en chinois. Vous l’entendez très bien mais vous ne comprenez rien. Avec le temps, beaucoup de patience et de pratique, vous finirez par reconnaître certaines syllabes et certains mots, mais il y a toujours des moments où tout ira trop vite!
C’est exactement ça. Ce n’est pas parce que je ne me retourne pas quand vous dites «Nancy» que je ne vous ai pas entendu. Il m’est impossible d’être à l’écoute de mon nom à chaque minute durant toute la journée. Je ne me retourne pas à chaque fois que j’entends quelque chose, même si je ne sais pas c’est quoi, car ce serait trop épuisant d’être toujours en état d’alerte.
Étant donné mon nombre restreint d’électrodes, les spécialistes ne s’attendaient pas à des miracles avec moi. Mais le cerveau fait des merveilles, j’étais jeune et malléable, il s’est mis à tirer tout ce qu’il pouvait des sons qu’il entendait. Pour moi, ahh-ho se transformait en bateau.. mon cerveau, le super-héros, «devinait» plein de mots. J’étais capable de comprendre une phrase complète avec seulement quelques indices. Avec la lecture labiale, ma compréhension était spectaculaire. Sans lecture labiale, presque nulle. Je ne faisais peut-être pas partie des implantés qui pouvaient avoir une conversation téléphonique ou écouter la radio, mais au moins j’arrivais à me débrouiller pour fonctionner avec les entendants.
À notre retour au Nouveau-Brunswick, la routine s’est installée, aussi normale qu’elle puisse l’être. J’ai continué à développer mon langage parlé et à fréquenter l’école régulière avec l’aide d’une aide-enseignante. J’ai poursuivi mes cours de ballet-jazz. Les sons que j’entendais étaient loin d’être de belles mélodies. Moi qui adore la musique, je ne retirais plus aucun plaisir à en écouter, sauf peut-être la musique Dance, parce que ça fait boum! boum!. Le manque de précision des sons m’occasionne certains problèmes de prononciation, notamment avec le son i, que je prononce comme un z, alors je serai suivie chaque semaine en orthophonie et ce, durant plusieurs années. Ma réadaptation se continue avec des exercices à la maison plusieurs fois pas semaine où ma mère me dit des mots en cachant ses lèvres et où je dois deviner ce qu’elle dit, et aussi à l’école avec Odette, mon éducatrice spécialisée. Je vous parlerai plus longuement de son rôle très important dans ma réussite personnelle et scolaire dans un prochain billet. Le mot d’ordre est pratique, pratique, pratique. C’est en entendant un mot très souvent que j’apprends finalement à le différencier des autres. C’est long, c’est plate, mais nécessaire. Les premiers mois de pratique seront déterminants pour mon avenir car ils montreront à mon cerveau comment bien entendre, car dans le fond, c’est lui qui décide comment les sons seront interprétés!
Durant ce temps, la lecture labiale, ou l’action de lire sur les lèvres, se développait pour moi automatiquement. C’était comme une deuxième nature, mais aussi un exercice très épuisant car ça exige d’être constamment en état d’alerte et de concentration. Comme il est impossible d’être toujours en position optimale pour lire les lèvres des gens, j’ai commencé à déduire beaucoup d’information en observant les expressions et le langage corporel. C’est presque comme avoir un pouvoir magique! Je pouvais reconnaître la colère, l’amour, l’incompréhension ou le jugement d’un seul coup d’oeil, sans avoir entendu un seul mot. Ça m’a beaucoup servi à identifier mes alliés dans la vie, mais ça m’a aussi rendue très sensible. Admettons qu’une personne prenne une posture fâchée, un regard dur, déjà, ma réaction est à son paroxysme. Si on rajoute les paroles par-dessus, c’est juste trop pour moi, je craque. J’ai dû apprendre à ne pas me laisser envahir ou intimider par ce que les gens dégagent, et à me détacher des situation désagréables pour ne pas éclater en sanglots à chaque fois qu’il y a un conflit. Ce n’est pas pour rien que je décroche quand le sujet ne pique pas mon intérêt ou quand je suis trop fatiguée. Mon cerveau doit bien se reposer de temps à autre!
6 Comments
Chère chère Nancy
J'ai lu avec bcp d'émotion et d'intérêt ton blogue. Merci de nous aider à comprendre un peu mieux ce que tu vis. Je me rends compte à quel point ton handicap te mets ds une situation très exigente tjrs ds la vie et qu'à chaque jour c'est une tonne d'énergie qui y passe.
Je ne peux rien faire pr toi malheureusement sauf comprendre un peu mieux ce que tu vis. Après la lecture, je ne peux que te souhaiter bcp de courage encore et encore et te dire que j'essaierai dorénavant de te faciliter la bonne compréhension qd je serai en ta présence.
Encore merci pour toutes ces explications.
Mes saluts affectueux à toi Benoit et les enfants.
Colette Brien
merci a toi de decrire certaine chose maman de kelly 4 ans et demie implantée depuis presque 2 ans bisous et j attend la suite 😉
Merci pour ces messages cet aventure la mon bébé de 9mois va se faire implanter d'ici l'été donc nous savons un peu a quoi s'attendre vu de l'extérieur des médecins un gros merci
Jessica
Au nom de tous les sourds un gros MERCI, sa fait du bien de lire un blogue comme le tient
et surtout de voir que tu tant sort tres bien et que tu as une belle famille. Bisou a vous tous
moi mon enfant qui est implanté à l'âge de 4ans et maintenant ça fait 4 ans encore, il a refusé l'implant au 5ième réglage, il est hyperactif et il a trouble de comportement, il est très très intelligent, mais l’hyperactivité est cause de refus des enseignements spécialisé S V P , veuillez demander à votre audio de me donner une solution, je suis au Maroc , je poursuivais des séances de psychomotricité , tjrs il le refuse par force, ou bien c'est à cause de son comprtement ou bien il a été traumatisé par un faux réglage et merci / sbenlaidi@gmail.com
Bonjour Samira, merci pour votre commentaire, c'est très pertinent. Est-ce que vous lui avez demandé si quelque chose le dérange dans sa programmation actuelle? Je ne suis pas une professionnelle, mais une chose que je sais, c'est que votre enfant sait ce qui est le mieux pour lui. Quand j'étais jeune on m'a forcé à porter des appareils FM en classe (une boîte avec un micro pour que je puisse écouter directement le professeur). Mais pour moi ça ne m'apportait rien. J'ai refusé de le porter, je me suis fâchée, j'ai pleuré, mais on m'obligeait à le faire "pour mon bien". Ça m'a occasionné tellement de frustration alors je vous dis… soyez à l'écoute de votre fils, encouragez-le… la force ne règle rien et cause deux choses : il va détester son implant et il se sentira incompris. Pour remédier à la situation vous pourriez, par exemple, dire à votre fils que pendant une certaine période chaque jour il peut enlever son implant, mais qu'il doit le porter le reste du temps. Cela permettrai d'enlever la pression d'avoir à toujours le porter. L'implant n'est pas pour tout le monde, mais ça prend souvent plusieurs années avant de le savoir. Si j'étais vous, je retournerais pour un ajustement et une bonne discussion avec l'audiologiste. Ces gens ont généralement beaucoup d'idées et d'outils pour gérer ces situations. Je vous souhaite bonne chance dans votre démarche, je sais que ce n'est pas toujours facile.